Bethpage Black :
quand le public efface l’esprit de la Ryder Cup

 

Trois jours de compétition et un seul véritable perdant : l’esprit de la Ryder Cup.

Le public de Bethpage Black a transformé ce qui devait être une fête du golf en une arène de tensions et d’insultes.  « Saturday felt disgusting to me », a lancé Nick Piastowski dans Golf.com, résumant ainsi en cinq mots l’atmosphère qui a dominé le tournoi.

On peut choisir parmi « dégoûtant », « écœurant », « révoltant » — les qualificatifs et superlatifs ne manquent pas pour décrire le comportement des supporters américains. Pour utiliser une métaphore golfique, le public du samedi a joué hors limites.

Excédé par les provocations, Rory McIlroy avait, la veille, réagi de manière impulsive par un doigt d’honneur, brisant les codes de la « bienséance » du tournoi. Le geste, lourd de conséquences, aussi humain soit-il, a alimenté l’indignation parmi les observateurs.

Si les Européens s’attendaient à ce que Rory McIlroy et Justin Rose, lors des matchs du dimanche, soient criblés par l’hostilité dès les tees de départ, ils n’ont pas été déçus. Piastowski rappelle avec justesse que, il y a deux ans à Rome, Patrick Cantlay avait subi lui aussi l’incivilité d’un certain public. Les insupportables énergumènes sont une espèce qui pousse sous tous les cieux.

Le climat de tension n’est pas si spontané qu’on pourrait le croire.

Dès mai 2025, lors d’une réunion d’équipe, le capitaine américain Keegan Bradley aurait crié : « We are gonna go to Bethpage to kick their fucking ass ». Cette phrase, révélée dans Full Swing (Netflix), est désormais virale.

Bradley a tenté de s’expliquer, estimant qu’il s’agissait d’une incitation interne à ses joueurs — mais dans un contexte moderne où tout est filmé, elle a résonné comme un appel à l’affrontement.

Loin d’être anecdotiques, ces mots ont été repris et affichés dans le vestiaire européen, galvanisant les joueurs. Shane Lowry lui-même a déclaré que cette incitation avait été utilisée contre l’équipe américaine.

Ce qui distingue la Ryder Cup, ce sont ses rites et son éthique. En 1983, Tony Jacklin avait reçu ses joueurs avec cette phrase devenue célèbre :
« Messieurs, à l’entrée de ce local, il y a un portemanteau pour que vous puissiez y déposer vos égos ». Cette invitation à l’humilité, à la cohésion, incarnait un autre esprit — moins guerrier, plus respectueux.

A Bethpage, le contraste était saisissant. Bradley, tel un général de la joute, arborait le rôle d’un capitaine en guerre, exhortant le public, chauffant les foules, usant d’une rhétorique provocatrice.

Mais ses méthodes sont restées stériles. Cette fois, la rhétorique guerrière n’a pas suffi : l’« assaut » public n’a pas apporté la victoire. Matthew Fitzpatrick a résisté à la fureur, et Tommy Fleetwood, par sa dignité, a rappelé que l’élégance ne se perd pas, même au cœur du tumulte.

Pendant que les gradins hurlaient, on a presque oublié qu’un autre trophée était en jeu : celui de l’esprit sportif de la Ryder Cup, offert par Jack Nicklaus & Tony Jacklin. La nomination de Tommy Fleetwood est passée presque sous silence, mais les connaisseurs présents l’ont saluée : ses regards tournés vers le public, souvent empreints de tristesse, étaient une réponse silencieuse à la démesure ambiante.

Certes, la Ryder Cup a perdu son âme ce week-end. Mais toutes les braises ne sont pas mortes. Tommy Fleetwood a réaffirmé, par sa dignité, que l’esprit de compétition ne s’éteint pas dans la vulgarité. Le public croit avoir triomphé ; il ne fait qu’avoir dévoilé ses limites.

 

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